Un jardin
de roses sous la menace
d’une résidence de luxe
PAR JADE
LINDGAARD
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 2 MAI 2019
La plus ancienne roseraie au monde, conservatoire d’espèces rares
et anciennes, est menacée par un projet immobilier du promoteur
Emerige, à L’Haÿ-les- Roses, en région parisienne. Le volet économique
de l’opération est contesté.
C’est un jardin de roses unique au monde, un havre de fleurs dont
certaines n’éclosent nulle part ailleurs. Dans ses allées et sous
ses arceaux de jardin à la française, la roseraie de
L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) rassemble l’une des plus riches
collections de roses anciennes répertoriées dans le monde. Créée à
la fin du XIXe siècle par Jules Gravereaux, un bourgeois de la
Belle Époque qui avait fait fortune grâce au grand magasin Le Bon
Marché, elle réunit aujourd’hui plus de 11 000 rosiers et près de 2
900 espèces... (...)
C’est donc là que le promoteur immobilier Emerige prévoit de
construire une résidence de 94 logements, « à l’architecture
classique et élégante », dotés chacun d’une place de parking. Non
pas sur l’emplacement exact de l’actuelle roseraie mais sur son
seuil, en bordure de son mur nord. Le maire (LR) de la ville,
Vincent Jeanbrun, 35 ans, ancien assistant parlementaire de Valérie
Pécresse, veut construire un nouveau centre-ville autour de ce
futur « quartier de la Roseraie », alors que la commune doit
accueillir une gare du Grand Paris Express.
La beauté hiératique de la roseraie survivra-telle à la
juxtaposition de six bâtiments de trois étages ? La Direction
régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie
d’Île-de-France (DRIEE), branche régionale du ministère de François
de Rugy, note dans sa décision du 17 avril que le projet «
intercepte le périmètre de protection réglementaire » de la
roseraie, monument historique classé et labellisé « jardin
remarquable » par le ministère de la culture. Les immeubles
pourraient « dénaturer de manière significative le paysage
remarquable et protégé de ce secteur », poursuit le service d’État.
Dans le permis de construire – ouvert à la consultation du public
jusqu’au 2 mai –, Emerige se défend en promettant « un rideau
d’arbres » et une bande de 12 mètres entre les logements et le
jardin...
(...)
Interrogée à ce sujet par Mediapart,
la mairie, décisionnaire pour le permis de construire, n’a pas
répondu à nos questions. Mais elle fait siens les éléments de
langage du promoteur dans les grands panneaux promotionnels qu’elle
fait installer sur le lieu du litige, et promet une roseraie «
valorisée et protégée ».
C’est pourtant une tout autre situation que dépeint la Mission
régionale de l’autorité environnementale (MRAE) dans son avis du 8
mars...
(...)
Autre sujet de préoccupation soulevé par Yves Burnod, l’époux de
Colette, tous deux à l’initiative du site Sauvons la roseraie : la
plantation à venir de conifères dans le rideau végétal séparant les
logements de la roseraie. Sur l’un des visuels versés au permis de
construire par le promoteur, une dizaine de sapins sont
représentés. Or ces arbres sont prisés des pucerons, une espèce
prédatrice pour les rosiers. Quel sera l’effet de la présence de
ces arbres sur les collections de roses anciennes ? Dans l’étude
d’impact d’Emerige, aucun de ces points n’est précisément traité.
L’exploitation de la roseraie revient au conseil départemental du
Val-de-Marne. Sollicités par Mediapart, les deux élus en charge de
la roseraie n’ont pas répondu à nos questions.
Une pétition en ligne pour s’opposer au projet immobilier a recueilli
plus de 13 000 signatures. Des collectifs et associations locales,
dont l’Atelier local d’urbanisme et de développement de
L’Haÿ-les-Roses (Aludhay), rattaché à France nature environnement
(FNE), se mobilisent. La consultation publique sur le permis de
construire se termine le 2 mai. La construction des immeubles doit
démarrer en janvier 2020.
La vice-présidente de la branche européenne de la Fédération
mondiale des sociétés de roses, Henrianne de Briey, a écrit au
maire pour protester contre le projet immobilier « totalement
incompatible avec la préservation du système végétal de la roseraie
et du paysage immédiat » : « Dénaturer l’esprit de l’architecte
paysagiste Édouard André est tout simplement un scandale
historique. » Plusieurs associations et habitant·e·s vont déposer
un recours au tribunal administratif contre le permis de
construire.
La bataille autour de la roseraie de L’Haÿ ne se résume pas à un
enjeu de patrimoine végétal. Le volet économique du projet
immobilier soulève également des interrogations...
(...)
À travers les grands panneaux déployés sur le futur emplacement du
quartier, la mairie promet « un centreville pour tous ». Mais sur
les images prévisionnelles de la plaquette du promoteur, l’accès
aux résidences de la roseraie est gardé par une grille fermée aux
nonrésident·e·s. Dans ces conditions, l’intérêt « collectif » du
projet immobilier semble bien fragile.
En comparaison avec les déforestations en cours au Brésil ou en
Indonésie, l’enjeu de la sauvegarde paysagère de la roseraie de L’Haÿ
peut paraître bien mince. Mais il condense une série de décisions
et de visions destructrices de biodiversité telles qu’on en observe
un peu partout sur le territoire national : densification des
centres-ville, indifférence à la valeur en soi des territoires de
vie végétale, réduction des espaces verts à une fonction de décor
dans les villes, capture des accès aux beaux espaces naturels par
des projets immobiliers réservés à des ménages aisés (comme pour la
forêt de Romainville en Seine-Saint-Denis, en bordure de laquelle
doit se construire un écoquartier à la place de l’actuelle cité
HLM, par exemple).
Pourtant, l’alerte sonnée par les
scientifiques réunis à Paris jusqu’au 6 mai sur la gravité des
atteintes portées à la survie d’innombrables espèces devrait
conduire les élu·e·s à prendre les décisions inverses.
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