Sous
la menace d’un projet immobilier, à L’Haÿ, la Roseraie n’est plus en odeur de
sainteté
- Par Thomas Hermans
- Publié le 12/05/2019 à 08:30
ENQUÊTE
- Des travaux visant à redynamiser le centre-ville de cette commune du Val-de-Marne
sont au cœur d’une polémique. De futurs immeubles risquent en effet de nuire à
cette cathédrale végétale élevée en 1894 par Jules Gravereaux, située à
quelques mètres de l’endroit où ils doivent s’élever.
Les
couleurs vives jaillissent aux coins des allées, les senteurs envahissent l’air
comme une tempête parfumée, le vent fait bruisser feuilles et pergolas. À
L’Haÿ-les-Roses, la reine des fleurs s’éveille. Après plus de sept mois de
fermeture, la célèbre Roseraie du Val-de-Marne rouvre ses portes, alors que les
roses pointent le bout de leurs pétales. Cathédrale végétale et musée botanique
à ciel ouvert, le jardin est la création de Jules Gravereaux en 1894, et
constitue la première roseraie moderne au monde. Le charme apaisé de l’endroit
ajoute à sa renommée. Une renommée qui a poussé la ville de L’Haÿ à apposer
«les roses» à son nom en 1912.
La Roseraie est sacrée et qui s’y frotte peut
vraiment s’y piquer. C’est le cas de la marie qui a décidé de créer un nouvel
ensemble immobilier à quelques mètres seulement du jardin.
Les
protestations n’ont pas tarder à arriver. Trop haut, trop proche, trop
menaçant, trop peu écolo... Le projet catalyse presque toutes les critiques
possibles. Nombreux sont ceux qui l’accusent de perturber l’équilibre si parfait
de la Roseraie, compilation de 2.900 espèces de roses et de 11.000 rosiers,
plus fragiles les uns que les autres.
À
l’origine du projet, il y a le maire, Vincent Jeanbrun. Alors que l’est de
L’Haÿ-les-Roses doit se développer, avec notamment l’implantation d’une gare du
métro du Grand Paris, le maire veut garder un centre-ville actif à l’ouest de
la ville, du côté de la Roseraie. Le projet, intitulé Cœur de ville, comprend
l’aménagement d’un immeuble en forme de virgule encadrant une toute nouvelle place
minérale et centrale, ainsi que trois immeubles d’habitations traçant des
liaisons avec la Roseraie, le tout à la place d’un square végétalisé et d’un
parking. Le but affiché par la mairie: redynamiser le centre historique de
L’Haÿ et valoriser la Roseraie par de nouvelles liaisons avec la ville.
Nuisances
sonores
En
tout, presque 6.000m² de logements et 2.000 de commerces seront répartis sur
des immeubles néo-traditionnels de trois étages, hauts de quinze mètres, créés
par l’architecte Marc Breitman. Un afflux de population qui inquiète les
défenseurs de la Roseraie. «Imaginez l’été, quatre-vingt-douze logements situés
à douze mètres de la Roseraie, ce sont des fenêtres ouvertes, des télévisions
allumées, des téléphones qui sonnent, des enfants qui jouent. Ce n’est pas
cohérent avec le calme d’une cathédrale de verdure», explique l’association
Aludhay (Atelier local d’urbanisme et de développement de L’Haÿ-les-Roses). La
mairie a anticipé cette critique. Sa parade? Les futures habitations
remplaceront un actuel «grand parking aérien, déjà à l’origine de nuisances
sonores».
L’autre
grief tient à la hauteur de ces immeubles. Ils seront en partie visibles depuis
la Roseraie, cassant le cocon visuel et sonore voulu par Jules Gravereaux.
«Cette roseraie est une œuvre d’art, estime l’Aludhay. Les visiteurs viennent
s’y abandonner, et on va les opposer à des nuisances nouvelles.» L’association
est également préoccupée par la rangée de rosiers directement attenante aux
futurs immeubles. «Le rayonnement des façades risque d’être dévastateur.» Des
arguments balayés par la municipalité : «Les recommandations de l’Architecte
des Bâtiments de France ont été suivies, avec des façades plus sombres côté
Roseraie.»
«
Le tilleul d’Europe, peut attirer des pucerons notamment en période de
sécheresse et entraîner des dommages aux alentours et sur les roses».
Chantal
Pourrat, des Amis de la Roseraie
La
situation est toutefois jugée préoccupante par les amoureux de roses du monde
entier. Assez pour qu’Henrianne de Briey, vice-présidente Europe de la
Fédération mondiale des sociétés de roses adresse une lettre au maire de la
ville. Elle y considère que «l’ampleur du projet [...] est totalement
incompatible avec la préservation du système végétal de la Roseraie et du
paysage immédiat.» «Ce projet conduirait à une modification de l’écologique
locale», complète-t-elle.
En
réponse, et pour résoudre la problématique des nuisances sonores, visuelles et
calorifiques, le projet a été complété par un rideau végétal, une série
d’arbres plantée sur la bande des douze mètres qui sépare les futurs immeubles
du mur nord de la Roseraie. Une mesure en partie saluée par l’association Les
Amis de la Roseraie. L’écran végétal, «même si l’idée part d’une volonté
d’amélioration de l’esthétisme, peut également être rapidement préjudiciable
aux rosiers», explique la vice-présidente Chantal Pourrat dans un communiqué.
L’association prédit que les futurs arbres pourraient entrer en concurrence
racinaire avec les rosiers, appauvrissant les sols en nutriments et en eau.
Autre
problème, soulevé par la consultation publique menée par l’Aludhay: la barrière
végétale pourrait amener des nuisibles. Le tilleul d’Europe, l’une des espèces
qui la constituera, «peut attirer des pucerons notamment en période de sécheresse
et entraîner des dommages aux alentours et sur les roses.» Une accusation sans
fondement selon la mairie, qui explique que «les essences d’arbres sont
sélectionnées par le paysagiste pour être compatibles avec la roseraie.» De
plus, «des barrières anti-racines seront même mises en place pour éviter toute
interférence au niveau des sols».
Déterminée,
l’Aludhay critique une représentation «trompeuse» sur les illustrations de la
haie, qui font apparaître «les immeubles plus petits qu’ils ne le sont réellement.»
la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) a ainsi recommandé une
analyse «plus en détail de l’état actuel des perceptions proches et lointaines
du site d’implantation» et la multiplication des «prises de vues». Autre
problématique pour l’Aludhay, les arbres n’atteindront leur hauteur définitive
qu’au bout d’une quinzaine d’années.
À
la mairie, on défend un projet qui «a été travaillé dans le cadre du
développement durable: bâtiments à haute performance énergétique, énergie par
géothermie, toitures végétalisées, doublement des arbres sur le secteur,
éclairage LED». Les Amis de la Roseraie demandent, de leur côté, des
modifications du projet pour «limiter son impact sur la Roseraie». À l’Aludhay,
«on reste persuadés que le meilleur recours, c’est la population» pour faire
annuler purement et simplement la construction. Une pétition en ligne, réclamant l’abandon du
projet, a ainsi recueilli plus de 15.000 signatures. L’association souhaite
désormais poursuivre le combat sur le terrain juridique: «On compte déposer un
recours contre le permis dès qu’il va sortir.» Qui veut cueillir des roses ne
doit pas craindre les épines...
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